jueves, 20 de diciembre de 2018

UNE AUTRE POÉSIE, UNE POÉSIE AUTRE



                         
UNE AUTRE POÉSIE, UNE POÉSIE AUTRE


                                   La présente traduction est un supplément à mon analyse du recueil de poèmes de M. Mesmoudi, faite le 18 décembre dernier, grâce à l'invitation de l'aimable équipe de l'association AMAAL de Tanger (voir lien infra). J'y avais parlé des axes particuliers du signe poétique chez l'auteur. Poésie de la dissémination (Cf. Derrida) et de la béance du Sens (Cf. Eco), deux aspects distinctifs et singuliers de la nature de l'Être. La poésie n'est plus ici une narration sentimentale d'un poète raté, un manifeste politique de pacotille ou un journal névrotique d'un faux prophète, comme on en voit partout aujourd'hui. Elle est en rupture avec la tradition littéraire, une invitation, par son émiettement syntaxique, au voyage et à la réflexion. Le titre même augure déjà que les signes linguistiques seront en distorsion, libérés de la forme grammaticale et du joug de la rime, avec, comme solide support, la profusion des figures de style, seules capables de "montrer" dans sa nudité et sa multiplicité l'Être confronté à son imaginaire, ses rêves et ses souffrances. Vous conviendrez, après lecture, qu'il s'agit d'une autre poésie, une poésie autre... Un poète pas comme les autres.




TÉMOIGNAGES   SISMIQUES


Nous nous sommes réveillés face au cauchemar du siècle
Ce n’est pas le cimeterre creux qui traverse les
os dans les camps de concentration
et féconde les fougères emblèmes de la faim

Nous attriste l'angoisse des temples grecs
La froide solitude des couloirs que font rêver
                     les sanctuaires



Ceux qui gisent étourdis de sommeil
se perdent dans les quais de l'indignation
et réapparaissent  sur les falaises de l'oubli

Y aurait-il une mort aussi sacrée
plus intime
                     plus cabalistique
que celle dont on se souvient en mourant?

Même si la mort nous attend en doublant la
                     rue couleur d'olive
où le quai profère son gazouillis païen
et les navires mordent
                     dans les mangroves
ni les versets de Léon Felipe ne peuvent nous sauver
...


J'aimerais moi aussi être un potier du vers
messager de la ville qui traverse la côte
repérer une rime lointaine
                     aliénée
m'engager dans les affaires locales de la poésie
découvrir de nouveaux vols
une musique autre distinguant le doigté de la teinte
                     le ton de la ténacité
                     le poète des ténors creux
qui attentent avec leur chanson à la lune
...


Pour vivre ici
on se nourrit tous les jours
                    de barbelés à lames
Peux-tu les imaginer?
Il a l'accent perfide et rabougris
le toucher atroce
                    étourdi
le palais endurci
par les jaguars ivres qui
                   se mutilent à l'aube

Le regard ensanglanté
                  aigre
priant pour que la peur ait évaporé la ville
et effondré les âmes qui se réincarnent
                  par les coins
au-delà des étoiles et des rapports médico-légaux

L'angoisse prend les corps en otage 
ils évoquent ce jour atroce



Ils ne cèdent pas
Ils survolent les alcôves comme de minces balcons
cordouans
des lances rouillées
pénètrent les toits plats de l'ignominie
cherchant l'odeur d'une faible lumière
ou le soufre chaud d'un bébé
...

À quoi sentent ces fosses communes
ce tournesol éteint
ce cortège funèbre ?
Quel est le goût de cette langue éteinte ?
dans laquelle émergent ces choses précaires
ces fatidiques
                    et usées aurores ?



Devrons-nous sculpter un langage familier
dans lequel nous puissions cracher  tous les démons
ces êtres malsains et jaloux ?
Ce poème pourrait être notre héritage
culturel de la nation
il aurait une valeur économique ajoutée
ou au moins une sueur différente sur le front
...

Ce n'est peut-être pas un paysage de prédilection pour
                       jongleurs et touristes

Où sont les poètes ?

Ils ont encore peur



Maintenant que le corps circulaire de Dieu nous presse
                       le vers tremblant
                       la prière funèbre

Maintenant que nous exhorte son argile mélodieuse
Maintenant que nous manque l'air qui a comblé
                       la vallée
Maintenant que les malheureux ont besoin
                        des lampes
et des sarcophages vides

Où sont les maudits poètes
à la barbe de prophètes et aux lèvres de fumeurs
qui crient contre les injustices
                        avec les pieds criblés
et s'élèvent blessés devant le vers ?
...


Nous incite un vers imprécis
qui chante la litanie brisée des enfants héros !
Nous ne devrions pas avoir besoin de charlatans
                       qui empestent sur les places
et invoquent les alliances secrètes
le pacte originel de notre ville
...

Dans cette enclave de solitude et de ruines
de déceptions
                   de gouffres et de  lacunes gothiques
                   j'essaye d'ouvrir cette voie
qui justifie ce que j'écris aujourd'hui

Serais-je absous par ceux qui s'élèvent
                  incertains devant la cécité ?



Devrais-je périr dans la tentative
ou tout simplement disparaître comme ce moine
qui pour traverser humblement la muraille
laissa par écrit ses enseignements
et disparut à jamais sans laisser de traces ?
...


Si seulement écrire
servirait à aspirer au vide
et à l'oubli !

Si seulement écrire
servirait à empoisonner la feuille blanche
et nous libérer
nous débarrasser de nous-mêmes !




https://ahmedoubali.blogspot.com/2018/12/lo-bello-y-lo-siniestro-en-la-poesia-de.html





Avec l'auteur et mon collègue M. Hamzaoui.
                                                    (18/12/18)

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