UNE AUTRE POÉSIE, UNE POÉSIE AUTRE
La présente traduction est un supplément à mon analyse du recueil de poèmes de M. Mesmoudi, faite le 18 décembre dernier, grâce à l'invitation de l'aimable équipe de l'association AMAAL de Tanger (voir lien infra). J'y avais parlé des axes particuliers du signe poétique chez l'auteur. Poésie de la dissémination (Cf. Derrida) et de la béance du Sens (Cf. Eco), deux aspects distinctifs et singuliers de la nature de l'Être. La poésie n'est plus ici une narration sentimentale d'un poète raté, un manifeste politique de pacotille ou un journal névrotique d'un faux prophète, comme on en voit partout aujourd'hui. Elle est en rupture avec la tradition littéraire, une invitation, par son émiettement syntaxique, au voyage et à la réflexion. Le titre même augure déjà que les signes linguistiques seront en distorsion, libérés de la forme grammaticale et du joug de la rime, avec, comme solide support, la profusion des figures de style, seules capables de "montrer" dans sa nudité et sa multiplicité l'Être confronté à son imaginaire, ses rêves et ses souffrances. Vous conviendrez, après lecture, qu'il s'agit d'une autre poésie, une poésie autre... Un poète pas comme les autres.
TÉMOIGNAGES SISMIQUES
Nous nous sommes
réveillés face au cauchemar du siècle
Ce n’est pas le
cimeterre creux qui traverse les
os dans les camps
de concentration
et féconde les fougères
emblèmes de la faim
Nous attriste
l'angoisse des temples grecs
La froide
solitude des couloirs que font rêver
les sanctuaires
Ceux qui gisent
étourdis de sommeil
se perdent dans
les quais de l'indignation
et réapparaissent sur les falaises de l'oubli
Y aurait-il une
mort aussi sacrée
plus intime
plus cabalistique
que celle dont on
se souvient en mourant?
Même si la mort
nous attend en doublant la
rue couleur d'olive
où le quai profère
son gazouillis païen
et les navires
mordent
dans les mangroves
ni les versets de
Léon Felipe ne peuvent nous sauver
...
J'aimerais moi
aussi être un potier du vers
messager de la
ville qui traverse la côte
repérer une rime
lointaine
aliénée
m'engager dans
les affaires locales de la poésie
découvrir de
nouveaux vols
une musique autre
distinguant le doigté de la teinte
le ton de la ténacité
le poète des ténors creux
qui attentent
avec leur chanson à la lune
...
Pour vivre ici
on se nourrit
tous les jours
de barbelés à lames
Peux-tu les
imaginer?
Il a l'accent
perfide et rabougris
le toucher atroce
étourdi
le palais endurci
par les jaguars
ivres qui
se mutilent à l'aube
Le regard
ensanglanté
aigre
priant pour que
la peur ait évaporé la ville
et effondré les
âmes qui se réincarnent
par les coins
au-delà des
étoiles et des rapports médico-légaux
L'angoisse prend
les corps en otage
ils évoquent ce
jour atroce
Ils ne cèdent pas
Ils survolent les
alcôves comme de minces balcons
cordouans
des lances
rouillées
pénètrent les
toits plats de l'ignominie
cherchant l'odeur
d'une faible lumière
ou le soufre
chaud d'un bébé
...
À quoi sentent
ces fosses communes
ce tournesol
éteint
ce cortège
funèbre ?
Quel est le goût
de cette langue éteinte ?
dans laquelle
émergent ces choses précaires
ces fatidiques
et usées aurores ?
Devrons-nous
sculpter un langage familier
dans lequel nous
puissions cracher tous les démons
ces êtres
malsains et jaloux ?
Ce poème pourrait
être notre héritage
culturel de la
nation
il aurait une
valeur économique ajoutée
ou au moins une
sueur différente sur le front
...
Ce n'est
peut-être pas un paysage de prédilection pour
jongleurs et touristes
Où sont les
poètes ?
Ils ont encore
peur
Maintenant que le
corps circulaire de Dieu nous presse
le vers tremblant
la prière funèbre
Maintenant que
nous exhorte son argile mélodieuse
Maintenant que
nous manque l'air qui a comblé
la vallée
Maintenant que
les malheureux ont besoin
des lampes
et des
sarcophages vides
Où sont les
maudits poètes
à la barbe de
prophètes et aux lèvres de fumeurs
qui crient contre
les injustices
avec les pieds criblés
et s'élèvent
blessés devant le vers ?
...
Nous incite un
vers imprécis
qui chante la
litanie brisée des enfants héros !
Nous ne devrions
pas avoir besoin de charlatans
qui empestent sur les
places
et invoquent les
alliances secrètes
le pacte originel
de notre ville
...
Dans cette
enclave de solitude et de ruines
de déceptions
de gouffres et de lacunes gothiques
j'essaye d'ouvrir cette voie
qui justifie ce
que j'écris aujourd'hui
Serais-je absous
par ceux qui s'élèvent
incertains devant la cécité ?
Devrais-je périr
dans la tentative
ou tout
simplement disparaître comme ce moine
qui pour
traverser humblement la muraille
laissa par écrit
ses enseignements
et disparut à
jamais sans laisser de traces ?
...
Si seulement
écrire
servirait à
aspirer au vide
et à l'oubli !
Si seulement
écrire
servirait à
empoisonner la feuille blanche
et nous libérer
nous débarrasser
de nous-mêmes !
https://ahmedoubali.blogspot.com/2018/12/lo-bello-y-lo-siniestro-en-la-poesia-de.html
Avec l'auteur et mon collègue M. Hamzaoui.
(18/12/18)
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